Le coup d’envoi a été donné, les courges passent à l'attaque de tous côtés. Comme chaque année à pareille époque, que leur peau soit douce comme un sein de jeune fille ou galeuse à vomir, qu'elles soient obèses ou phalliques, verruqueuses ou boursouflées de suffisance, qu'elles aient des allures de tête de sultan ou de soucoupe volante, les cucurbitacées alimentent blogs et magazines pour nous raconter tout ce dont elles sont capables et nous convaincre qu'elles sont à notre santé ce que le pneu est à la bicyclette. En tarte, en soupe, en lampion, en graines, en purée, en cake, en ornement, en sorbet, en confiture, en maracas et même en frites, tous les secrets nous sont régulièrement révélés à chaque saison et on se demande bien pourquoi on s'embête encore à cultiver autre chose que des courges dans nos jardins puisqu'elles mènent si bien la danse de l'apéro au dessert, au rythme des sambas évidemment, avec éclairage et déco esthétique en prime ! La courge est donc à la mode, célébrée sur les plus grandes tables et il n’est pas un chef aussi prestigieux soit-il qui ne l’honore de son génie créatif, tandis que telle enseigne de grande surface de produits frais se flattent d'en proposer pas moins de 17 variétés à sa clientèle. Si vous voulez tout savoir des préparations à base de courge procurez-vous l’ouvrage édité par Rustica, de Jean-Baptiste et Nicole Prades : La cuisine des courges. Paru en 1996 il sera très difficile à trouver neuf mais relativement facile de le dénicher d’occasion sur les bons sites Internet.
On connait moins en revanche la prodigieuse saga des courges, dont les archéologues ont retrouvé trace de sa domestication au Mexique quelques 8750 années avant JC. La prolifique famille des cucurbitacées est indubitablement originaire d’Amérique, du sud, du centre ou amérindienne, et révèle l’existence d’une vaste cousinade avec un déferlement de genres où les courges s’éclatent avec les cornichons, les melons, les pastèques, les courgettes, les concombres, les calebasses, et même la diabolique bryone si commune dans nos haies. Chaque genre comprenant quantité d’espèces et celles-ci plus encore de variétés, on imagine la difficulté à réunir toute la famille pour une photo où chacun aurait sa place ! Quoiqu’il en soit les courges sont toutes du genre Cucurbita, qui n’est peut-être pas du genre de tout le monde mais lui assure néanmoins un franc succès quoique les 27 espèces recensées qui le composent ne connaissent pas toutes la gloire et la chaleur des fourneaux. Dans nos jardins et nos étals nous ne rencontrons guère que les 3 espèces courantes :
Pepo (citrouille, pâtisson, courge spaghetti, Delica Moretti, Jack O’ Lanterne pour Halloween, etc.)
Maxima (les plus grosses, potiron, potimarron, courge turban, giraumon, etc.)
Moschata (Butternut, longue de Nice, musquée de Provence, pleine de Naples, sucrine du Berry, etc.)
En Turquie, où les hommes croquent et suçotent de façon quasi permanente des sachets de graines de courges les champs de cucurbita sont nombreux. Je ne sais pas du tout de quelle espèce ni de quelle variété il s’agit, le fait est que vidés de leur graines les fruits sont laissés en tas à pourrir au soleil. Mais chacun sait là-bas tous les bienfaits du pépin de courge sans avoir à consulter Doctissimo : troubles prostatiques, urinaires, troubles de la ménopause, vermifuge, la courge est une véritable pharmacie du fondement.
Courges évidées en tas près d'Üçhisar en Cappadoce (Turquie) A noter également que dans la partie septentrionale de la Slovénie la courge est abondamment cultivée (de variété Styriaca) pour ses pépins dont est tirée une huile d'exception, de couleur vert foncé, consommée crue principalement dans les salades.
Mais pourquoi des courges sur la Lune ? Justement, sur la Lune il n’y avait pas de courges mais seulement des pastèques et les pastèques ne sont pas des courges car bien qu'appartenant à la même famille des cucurbitacées, elles sont du genre Citrullus et non Cucurbita ! Reprenons : dans la bande à Pepo, Maxima ou Moschata on peut chercher longtemps et en vain des courges à confiture. Si en Provence et dans le sud-ouest notamment, beaucoup prétendent utiliser de la courge (ou du melon) pour préparer de délicieux confits et confitures, généralement associés à de l’orange ou du citron, c’est qu’en réalité il y a confusion taxinomique entre la pastèque et la courge. L’espèce des pastèques, du genre Citrullus donc, comporte en effet des variétés qui, bien que totalement impropres à la consommation crues, révèlent des trésors de douceur après cuisson : ce sont les pastèques dites à confiture, affublées de tout un tas de noms comme gigérine ou gingérine, barbarine, méréville, citre, ou même gégéride comme l’a rebaptisé de ce nom farfelu le grainetier Truffaut qui en commercialise les semences. Ce qui nous mène très logiquement en Kabylie sur la trace de Louis XIV et d’un navire englouti par les flots, le trois-mâts nommé... La Lune.
En 1664 la Kabylie, dans l’actuelle Algérie, est province de l’empire ottoman et notre roi solaire, Louis, 14ème du nom, le plus grand le plus beau le plus intelligent mais qui puait affreusement de la gueule, appuyé par le royaume d’Angleterre et les Pays-Bas, décide d’aller porter notre culture et nos valeurs dans cette contrée que l’on appelait à l’époque Barbarie, pour le plus grand bienfait des autochtones et avec autant de panache et d’abnégation qu’on met aujourd’hui à porter notre version de la démocratie et du savoir-vivre en Afghanistan, Irak, Lybie et Syrie, etc. L’expédition militaire s’empare rapidement d’un port de la côte kabyle, Gigeri, devenu plus tard Djidjelli et désormais wilaya de Jijel. Le romancier Jean Teulé raconte plaisamment (comme à son habitude) cet épisode dans un de ses livres, Le Montespan. Las ! Trois mois plus tard le corps expéditionnaire soumis à la peste, au manque de ravitaillement et aux contre-attaques des autochtones doit repartir la queue entre les jambes et Louis XIV qui ordonnait pourtant du haut de ses talonnettes de « ne plus penser qu'à s'établir à Gigeri car j'y suis fort résolu, et je prétends en venir à bout, à quelque prix que ce soit » dut en rabattre lui-même de la queue et s’en consoler avec ses maîtresses.
A son retour la flotte n’est pas glorieuse et le trois-mâts La Lune déjà en piteux état avant de partir en conquête, se désintègre complètement en rade de Toulon face aux îles d’Hyères. De l’équipage de plus de 800 hommes, 700 meurent noyés au moment du naufrage, une centaine arrive à atteindre l’île de Port-Cros mais y meurent rapidement de faim car à l’époque l’île était totalement déserte et n'avait pas encore installé ses troquets sur la plage. Seule une vingtaine d'entre eux seulement réussit à en réchapper à la nage. L’épave ne sera découverte qu’en 1993.
Mais alors y avait-il des pastèques à bord ? L’histoire évidemment ne le dit pas mais on aura compris d’où vient le nom de courge gigérine (de Gigeri) ou barbarine (de Barbarie), les deux seules appellations qui aient un sens. Car en effet cette variété de pastèques est originaire d’Afrique du Nord et non pas d’Amérique comme ses cousines les courges. Mais il m’a plus de penser que tous les malheureux naufragés, lestés de pastèques à confiture qu’ils comptaient ramener dans leurs foyers, se perdirent corps et âmes en refusant de les abandonner pour les sauver du désastre.
Il ne reste plus qu'à faire de la confiture de gigérine à l'orange en leur mémoire...
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