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Le difficile apprentissage des confitures (1/3)

Dernière mise à jour : 20 mai 2019




Les principes des confitures

La cuisson au sucre est une méthode traditionnelle et ancestrale de conservation des fruits, tout comme le séchage et le salage le sont pour les viandes et les poissons. Et comme pour la plupart des procédés de conservation, le produit fini a subi des modifications irréversibles qui le destinent à un usage différent de celui du produit d'origine.

Deux remarques : d’abord on ne fait pas que de la confiture de fruits, mais aussi de fleurs (rose, violette, pissenlit, bleuet), de tiges (rhubarbe, angélique), de racines (patate douce, gentiane jaune, gingembre, carottes, betteraves), et même de liquides (jus, thé, vin, lait), etc.

Ensuite l’objectif de conservation n’est plus trop d’actualité, la fabrication de confitures vise surtout de nos jours à élaborer des préparations gourmandes et sucrées, classiques ou originales, propices à la fantaisie et l’esprit d’invention.


Hervé This s'interrogeait : qu'est-ce qu'une bonne confiture ? avec l'intention évidente que la question nous oriente vers la recherche d’une bonne maîtrise du procédé de fabrication. La réponse la plus basique que l’on puisse faire est simple, une bonne confiture doit satisfaire simultanément aux trois critères essentiels :

  • se conserver dans le temps

  • préserver toutes les saveurs et les arômes du fruit d'origine

  • avoir la consistance adéquate pour l'usage que l'on veut en faire

Une mauvaise confiture peut fermenter ou moisir, elle peut n'avoir aucun goût sinon celui du sucre, elle peut dégouliner parce que trop liquide ou inversement être bonne à couper au couteau, elle peut cristalliser, mais quelques soient ses défauts, ils traduisent toujours des fautes d'observation de l'un ou l'autre de ces trois critères.

Les éléments et les facteurs les plus importants dans l’élaboration d'une confiture sont : l'eau, le sucre, les matières sèches, la capacité de gélification, l'acidité, la température et le temps de cuisson. Mais aucun d'eux ne peut être contrôlé et maîtrisé séparément des autres, car ils interagissent entre eux de manière assez complexe.


L'eau

Si la confiture a été depuis l’antiquité le moyen privilégié de conserver les fruits, c'est d'abord parce que la cuisson permet par évaporation de réduire la proportion d’eau dans les fruits, favorable au développement des moisissures et autres micro-organismes responsables des dégradations telles que la pourriture et les fermentations.

Tous les fruits contiennent de l'eau, dite « eau de végétation », ils sont même pour la plupart composés essentiellement d'eau, mais tous n'en contiennent pas dans les mêmes proportions.

A titre indicatif, le classement des fruits à confiture les plus courants dans l'ordre décroissant de leur teneur en eau, va de la fraise (plus de 90% d'eau), puis la pêche (88%), l'orange (87%), l'abricot (86%), la framboise (85%), la prune (84%), la groseille (82%), la cerise (81%), la figue (79%), la banane (75%), et enfin la châtaigne (60%). On ajoutera la rhubarbe qui n’est pas un fruit et se distingue en surpassant la fraise avec plus de 93% d'eau. Ces valeurs sont évidemment approximatives. D'abord il est difficile d’être précis vu que d’une documentation à l’autre les chiffres annoncés peuvent présenter de sérieuses différences. Ensuite ce sont nécessairement des valeurs moyennes, le même fruit, suivant sa maturité, son mode de production et sa variété, pouvant avoir une composition en eau très variable. Par exemple la vraie petite fraise des bois et la très grosse qualifiée un peu abusivement d'espagnole (en France on sait en produire aussi !...) n'en contiennent pas du tout dans les mêmes proportions.

A première vue l'écart entre ces chiffres ne semble pas très significatif, et pourtant on sait par expérience qu'il est plus facile de réussir une confiture de figues que de fraises.

Mais s’il est nécessaire d’éliminer l’eau de végétation des fruits, ce ne doit être que partiellement et pour ceux qui en contiennent en excès (comme la fraise ou la rhubarbe), car il est impératif d’en conserver. Dans certains cas il faut même en ajouter car l’eau de végétation des fruits est insuffisante. Il faut en effet qu’il y en ait suffisamment pour que le sucre puisse devenir sirop, et pour que la chimie complexe des confitures puisse se réaliser. Autrement dit la maîtrise de l'évaporation de l'eau à la cuisson est essentielle et il faut absolument trouver les moyens de l’acquérir… ou de s’en approcher !


Le sucre

Son rôle dans la conservation est essentiel.

En premier lieu il attire l'eau à l'extérieur des cellules qui composent la pulpe des fruits. On sait tous que si l'on saupoudre généreusement de sucre un saladier de fraises fraîches, celles-ci se ramollissent petit à petit et après quelques heures ont « rendu » une bonne quantité de leur jus dans le récipient. Le sucre est donc un bon extracteur de jus (comme le sel d’ailleurs). Et c'est pour cette raison qu'il est souvent conseillé de mettre les fruits à forte teneur d'eau comme les fruits rouges, à macérer dans le sucre plusieurs heures ou une nuit entière avant d'entamer la cuisson de la confiture.

Puisqu’il faut se débarrasser de l’eau en excès contenue dans les fruits, le sucre va donc nous y aider.

Ensuite et surtout, le sucre intervient dans la conservation car c’est un antiseptique naturel. Utilisé depuis longtemps comme anti-infectieux, il est mentionné dans les pharmacopées les plus anciennes, et connu pour entraver le développement des bactéries et des champignons. Toutefois il ne peut pas jouer correctement ce rôle d’antiseptique à l’état sec et solide. Il faut qu’il soit sous forme de sirop ayant atteint une certaine densité et une certaine viscosité par concentration pour empêcher le développement des microbes et des fermentations. C’est donc tout bénéfice pour nos confitures qui présentent en moyenne une concentration de sucre de de 60 à 65% à l’état de sirop.

Enfin, le sucre aussi intervient dans la chimie complexe des confitures qui se déroule au moment de la cuisson.


Mais il y a sucre et sucre : celui que l’on ajoute dans la bassine au départ n’est pas le seul, les fruits en contiennent eux-mêmes naturellement. Et puis ce sucre ajouté va subir des modifications pendant la cuisson et ne sera plus tout à fait le même à la sortie.

Celui qu’on achète par sac de 5kg et que l’on ajoute aux fruits dans la proportion classique de 50/50, est du sucre de betterave composé quasiment à 100% de saccharose, tandis que le sucre naturel des fruits est un mélange variable de fructose (le « sucre de fruit »), de glucose et de saccharose, et dans certains cas comme la banane et la châtaigne, d’amidon.

Comme pour l’eau, suivant les espèces, leur variété, leur degré de maturation et leur mode de production, les fruits ne contiennent pas tous la même quantité de sucre et leur composition est très variable.

Toujours en retenant des valeurs moyennes et forcément approximatives, les mêmes fruits à confiture cités plus haut se classent dans un ordre différent et quasiment inverse, ce qui est tout à fait logique, un fruit bourré d’eau contenant évidement moins de sucre qu’un fruit moins riche en eau. Cette fois on trouve la rhubarbe tout en bas du tableau avec moins de 2% de sucre, puis la fraise, la groseille et la framboise à peu près à égalité (5%), l'orange et l'abricot (8%), la pêche, la prune et la cerise (10 à 12%), et enfin la figue et la banane (16%). Le cas de la châtaigne est particulier car ses 30 à 40% de glucides sont constitués pour les 2/3 au moins d’amidon et pour 1/3 seulement de sucre.


Au cours de la cuisson, le saccharose (sucre ajouté) subit sous l'effet de la chaleur et de l'acidité un processus physico-chimique appelé « inversion » qui le transforme partiellement en un mélange particulier de fructose et de glucose, dit « sucre inverti », mention que l’on retrouve souvent au dos des emballages dans la composition des sucreries et pâtisseries industrielles. Le détail de cette transformation n’a pas beaucoup d’utilité, sauf à savoir que le sucre inverti est plus sucré que le saccharose du sucre en poudre ordinaire et qu’il donne en solution un taux de matière sèche plus important. Pour information, le miel est un sucre inverti naturel.


Les matières sèches

L’inquiétude majeure de l’apprenti confiturier concerne la « prise » de sa confiture. Va-t-elle prendre et bien prendre ? Comment éviter qu’elle ne soit ni trop liquide ni trop ferme ? La parfaite maîtrise de la prise passe alors pour le stade ultime de la compétence.

Il est toutefois surprenant de constater que parmi tous les commentaires, conseils et recettes qui pullulent sur la question l’attention se porte toujours et uniquement sur le phénomène de la prise en gelée, donc sur les pectines qui en sont responsables, et jamais sur celui, pourtant banal, qui fait épaissir la confiture !

Il ne faut pas oublier en effet que la consistance plus ou moins pâteuse, crémeuse ou nappante des confitures est due pour une bonne part au fait que la cuisson fait tout simplement épaissir la préparation par évaporation de l’eau, donc augmentation de la densité et concentration des matières sèches, exactement comme une sauce que l’on fait réduire.

Qu’est-ce que les matières sèches ? Tout ce qui n’est pas de l’eau ! C'est-à-dire, dans le cas des confitures, du sucre (qui ne s’évapore pas et dont le poids est identique avant et après cuisson), des fibres végétales, et dans de faibles proportions tous les autres éléments du fruit ou de la plante (sels minéraux, autres glucides que le sucre, etc.)


Donc une confiture épaissit par concentration des matières sèches. D’ailleurs, pour bon nombre de confitures le processus de gélification dû aux pectines est très atténué ou carrément absent, sans qu’il soit plus compliqué de les réussir avec la consistance idéale, bien au contraire. Ainsi, il est très facile d’obtenir un confit de rhubarbe parfait (ou de pomme), sorte de confiture très dense et goûteuse, en partant tout simplement d’une compote qui aura été moyennement sucrée (voire pas du tout pour la pomme) et que l’on aura laissé réduire suffisamment longtemps (sans attacher !) à feu doux, et sans ajouter aucun gélifiant. La rhubarbe étant par nature très pauvre en pectine, c’est principalement un simple épaississement qui se produit plutôt qu’une « prise en gelée ».


Dans certains cas on peut même dire que la prise par gélification n’est pas souhaitable : ainsi des confitures typiques de Grèce et de Crète telles que celles de cerises ou de coing où le sirop doit absolument pouvoir couler sur le yaourt dont on le nappe.

Ajoutons enfin que la réglementation officielle de la fabrication des confitures fixe un taux de matières sèches (entre 55% et 65%) et non pas un quelconque indice de gélification.


Le pouvoir de gélification

Ceci étant, la texture et la consistance de nombreuses confitures, et bien entendu des gelées, doivent aussi beaucoup à la possible gélification des pectines présentes dans les fruits.

On passera sur la chimie très complexe des pectines en notant simplement que ce sont des constituants des cellules végétales, rattachés à la famille des glucides, qui ont la propriété de gélifier les liquides dans lesquels elles sont dissoutes, tout comme la gélatine, mais seulement sous certaines conditions qu’il faut savoir maîtriser pour en retirer tout le bénéfice.


Comme pour l’eau et le sucre, la proportion de pectine dans les fruits (on en trouve aussi dans les légumes) est très variable et ne se concentre pas forcément dans la pulpe, mais souvent dans les pépins, la peau ou l’écorce comme dans les pommes, les coings ou les agrumes. Personne n’a jamais vu par exemple une compote de pomme gélifier naturellement, alors que la pomme figure pourtant parmi les fruits les plus riches en pectine, tout simplement parce qu’elle est cuite sans la peau ni les pépins. Faites-les cuire avec et votre compote commencera à prendre en gelée.

Les fruits les plus courants classés par famille selon leur teneur en pectine :

  • très riches en pectine (%>1,5) : pommes et agrumes

  • riches en pectine (1<%<1,5) : coings, prunes, cassis, abricots, groseilles, bananes

  • moyennement riches à peu riches (0,5<%<1) : framboises, mûres, fraises

  • pauvres en pectine (%<0,5) : cerises, pêches, myrtilles, rhubarbe, tomates

Ce qu’il faut savoir du comportement des pectines :

  • elles n’ont aucun pouvoir gélifiant si elles ne sont pas dissociées, c'est-à-dire extraites des cellules du fruit

  • c’est la chaleur qui les libère, mais pas une chaleur modérée et lente, tandis qu’une chaleur brutale et en excès finit par les détruire

  • les pectines se dégradent naturellement quand les fruits mûrissent et des fruits trop mûrs n’en ont plus beaucoup

  • leur pouvoir gélifiant est fortement renforcé par la présence d’autres éléments comme le cuivre ou le calcium

  • il n’existe pas qu’un seul type de pectine, mais au contraire une grande variété, et elles n’ont pas toutes le même pouvoir gélifiant ni les mêmes propriétés : par exemple elles ne sont pas toutes réversibles dans les cycles de chauffage/refroidissement

  • elles ne sont efficaces qu’en milieu acide, mais à l'inverse trop d’acidité les détruit

Autrement dit, les pectines sont fragiles, capricieuses, et ne se laissent pas apprivoiser docilement !

Mais heureusement, on en trouve des toutes prêtes dans le commerce (extraites du marc de pomme, de la pulpe de betterave ou des peaux d’agrumes) qui, en cas de défaillance, peuvent prendre le relais sans faire trop d’histoires…


L’acidité

Tous les fruits sont acides (et tous les légumes également), donc toutes les confitures sont acides. Cela peut paraître surprenant mais c’est chimiquement incontestable. Tout simplement la forte concentration de sucre atténue la sensation d’acidité sur la langue. On peut difficilement boire un verre de jus de citron pur sans faire la grimace, mais adouci du même poids de sucre il devient tout à fait buvable.

Le rôle de l'acidité est essentiel car il permet aux pectines d'activer leur pouvoir de gélification, et comme il vient d'être dit de transformer le saccharose.

L’acidité d’un produit se mesure avec un indice appelé pH. Les milieux acides ont un pH compris entre 0 et 7, et plus cet indice est faible plus le produit est acide. Si l’indice mesuré est compris entre 7 et 14 le produit est dit basique (ou alcalin), qui est le contraire d’acide. La valeur médiane 7 indique la neutralité, c'est-à-dire ni acide ni basique.

Attention, cette notion d’acidité constatée du fruit (ou de toute autre plante) n’a rien à voir avec celle utilisée par les diététiciens qui classent les aliments selon leur propriété acidifiante et alcalifiante, c'est-à-dire selon ce que leur ingestion provoque comme transformation dans l’organisme. Selon leur terminologie, le citron par exemple est classé parmi les aliments les plus alcalins et la cacahuète comme la pistache parmi les plus acides, et le sucre lui-même fait partie des aliments acides !


En reprenant la liste des fruits déjà cités plusieurs fois, le classement selon leur pH place évidemment le citron tout en haut avec un pH de 2,4, puis la myrtille et la groseille (pH3), la série pomme, raisin, abricot, pêche, orange, rhubarbe, cerise avec un pH compris en 3 et 4, la fraise et la tomate (pH4,2), la poire (pH4,7), la banane (pH4,5), la pastèque (pH5,5). Seul les dattes et le melon atteignent la neutralité et le second peut même parfois se révéler très légèrement basique à l’analyse. Là encore ce ne sont que des valeurs moyennes qui peuvent sensiblement varier en fonction du degré de maturité et de la variété.

Les acides les plus connus que l’on rencontre dans les fruits sont l’acide citrique (agrumes, cassis, myrtilles, framboises, ananas), l’acide tartrique (raisin), l’acide malique (pomme, cerise, coings, prune, pêche, banane), et l’acide succinique (cerise, groseille).


Et les fruits, alors ?

Eh bien oui, les fruits que faut-il en dire ?

Qu’il convient d’utiliser des fruits mûrs à point d’où on aura impitoyablement écarté les éléments abîmés, des fruits parfaits sous tout rapport, non traités, provenant si possible du verger familial ou bien d’un producteur local et bien sûr le plus petit possible (les gros écoulant leur production dans les grandes surfaces), bref les fruits les meilleurs…

Sans revenir à la question d’Hervé This (à laquelle il n’a d’ailleurs pas répondu) qui se demandait si de mauvaises fraises ne pourraient pas faire de la bonne confiture, on peut se permettre d’avancer que les meilleurs produits ne garantissent pas obligatoirement l’excellence des préparations que l’on en fait, et qu’inversement avec des produits moyens, voire même médiocres, il est possible d’élaborer des préparations qui méritent le respect et pourquoi pas les félicitations du jury !

Bien sûr, dans l’absolu il est préférable de choisir le meilleur, mais si l’on n’a ni la possibilité ni la chance d’avoir un verger à disposition ou un petit producteur sympathique à deux pas de chez soi, et si l’on n’est pas vraiment disposé à mettre une fortune dans des fruits vendus hors de prix dans des échoppes haut de gamme, doit-on s’abstenir de faire des confitures ?

Comme tout le monde je suis attentif aux promos en grande surface ou en fin de marché, et je n’ai pas honte d’avouer qu’il m’arrive de faire des confitures de framboises avec des sachets de fruits congelés… D’ailleurs la congélation n’est pas une mauvaise chose, puisque le gel faisant éclater les cellules des végétaux libère à la décongélation une grande partie de l’eau de végétation. C’est bien ce qu’on cherche, non ?


Les innombrables « inventions » qui se multiplient par clonage et envahissent l’espace libraire autant qu’informatique se rattachent à la tendance très à la mode en cuisine dont il est souvent dit qu'elle privilégie la recherche inspirée, l'audace de la fantaisie, le goût de l’exploration... Je rectifierais en disant que la tendance est plutôt à se prendre facilement pour un créateur original depuis cette manie de présenter désormais tout chef cuistot en quête de renommée comme un « inventeur de goûts », un « découvreur de saveurs », un « créateur d’émotions » et autres sottises du même genre.

Alors on ajoute à n’importe quelle confiture du gingembre, de la cannelle, du thé (forcément matcha), de la vanille du Mexique, de la fève tonka, du romarin, de la lavande, de la réglisse, de l’anis, de la coriandre, de la menthe, du piment d’Espelette, j’en passe et des meilleurs, on mélange la framboise et la banane, la papaye et la groseille, la patate douce et la rhubarbe… stop ! J’attends d’une confiture de framboise qu’elle sente pleinement la framboise et non qu’elle ait un petit parfum de banane, d’une gelée de groseilles qu’elle sente pleinement la groseille et non le pastis, et je déplore cette compulsion à rajouter systématiquement de la vanille qui mène à l'uniformité du goût et la confusion des sens.

Quelques liens utiles :

sur la composition des aliments, dont les fruits : http://informationsnutritionnelles.fr/aliments




L’empirisme de la cuisson

La cuisson des confitures, ce n’est pas un scoop, est l’opération centrale de l’opération. Il faut dire qu’il se passe beaucoup de choses au cours de cette phase délicate. D’abord la chaleur fait éclater les cellules des fruits et libère leur jus, l’eau de végétation ; cette eau s’évapore progressivement, concentrant ainsi les matières sèches, principalement les sucres (de fruit et ajouté) ; ceux-ci se combinant à l’eau deviennent sirop et pénètrent dans les cellules du fruit ; les pectines (s’il y en a) sont libérées et commencent leur transformation physico-chimique qui leur donnera leur pouvoir gélifiant ; le saccharose (sucre ajouté) poursuit la modification de sa structure, notamment sous l’action des acides du fruit et ajouté (jus de citron) ; bref, c’est toute l’alchimie des confitures qui se déploie dans la bassine. Sauf que cette alchimie vertueuse peut conduire très vite et sans crier gare au fiasco définitif et irréversible. Car trop de chaleur fait disparaître les éléments les plus volatils mais précieux, c’est-à-dire les parfums, peut détruire les pectines, et un sucre surchauffé est la meilleure garantie d’obtenir une mélasse collante pressée de retourner à l’état cristallisé dès qu’on aura tourné le dos !


Or qu’attend-on de cette cuisson ? Que sous l’effet combiné de la stérilisation par la chaleur et et de la concentration en sucre on obtienne une confiture où les parfums explosent en bouche, d’un juste équilibre en sucre, de consistance idéale et se conservant bien dans le temps. Autant dire que contraindre cette alchimie à répondre strictement à nos attentes va demander du doigté et beaucoup d’attention…


Il est habituel dans les « recettes » de confiture d’indiquer des valeurs précises de température ou de temps de cuisson, voire les deux à la fois ce qui est assez fantaisiste comme on le verra. Ces indications ne sont pas fausses et s’appuient même sur des raisonnements logiques. Mais elles ont le principal défaut de demeurer aléatoires malgré leur apparente précision. Si ce n’était pas le cas, en respectant ces prescriptions à la lettre, au centigrade ou à la minute près il n’y aurait logiquement aucun risque de rater ses confitures. Nous sommes nombreux à pouvoir témoigner du contraire…

Fixer une température de fin de cuisson, ou un temps de cuisson, a pour objectif légitime d’arrêter le processus au bon moment, supposé être celui où, avec une parfaite synchronisation, la concentration en sucre atteint son optimum pour garantir la conservation du produit final, la cuisson l'a conduit à sa consistance idéale et la gélification des pectines a réussi à se déployer correctement .

Sauf que, comme il sera vu plus loin, ce moment idéal tient plus de la théorie que de la réalité, la température ne pouvant pas en être le témoin fiable, et il va falloir donc composer.


Contrairement à la certitude commune, l’eau ne bout pas à 100°C, ou alors très rarement. Sans être du niveau d’indigence de ce militaire, selon la blague populaire, interrogé lors de tests d’aptitude et répondant que l’angle droit bout à 90°, cette information couramment énoncée mérite une approche plus nuancée. Car la température d’ébullition de l’eau dépend du lieu où on la fait bouillir, notamment de l’altitude, des conditions atmosphériques et bien sûr de la composition de l’eau. La valeur de 100°C est un repère quasiment théorique, appelé point d’ébullition standard, qui ne se vérifie que dans le cas très particulier d’une eau rigoureusement pure, à l’altitude zéro (niveau de la mer) sous la pression atmosphérique dite normale de 1013,25 hPa (ou millibar) ou 760 mm Hg (mercure), soit une atmosphère.

Pour écrire cet article j’ai procédé à quelques mesures de vérification. Les conditions étaient les suivantes : eau du robinet très peu calcaire et faiblement chlorée, altitude de 300 m environ, temps maussade et pluvieux en situation légèrement dépressionnaire de 1012 hPa.

  • Une petite casserole d’eau commence à bouillir à 94°C et la pleine ébullition se stabilise à 97°C.

  • La même casserole d’eau à laquelle j’ajoute une cuillère à soupe de sucre commence à bouillir à 96°C et la pleine ébullition se stabilise à 98°C.

  • J’ajoute une seconde cuillère à soupe mais cette fois de sel et l’ébullition reprend à 102°C pour se stabiliser à plus ou moins 105°C.

Dans les trois cas on est loin du 100°C théorique. Cette simple expérience révèle au moins deux choses : d'une part que l'eau du robinet n'a pas atteint l'ébullition à la température standard, et d'autre part et que l'ajout de substances étrangères modifie considérablement la température d’ébullition.

On peut donc raisonnablement penser que le conseil de chauffer la bassine de confiture jusqu’à une température donnée (105°C est le plus souvent cité) est d'une fiabilité douteuse, d'autant que cette règle présentée comme universelle incite à croire que cette température d'arrêt de cuisson serait valable pour toute confiture et en toute condition. Si l’on doit supposer que cette consigne puisse être pertinente à un moment précis et dans des conditions particulières, il y a de bonnes raisons de penser qu'elle ne sera pas adaptée ailleurs, à un autre moment, dans une autre situation et avec d’autres produits.

L’autre méthode qui consiste plutôt à définir un temps de cuisson décompté à partir du début de l’ébullition est encore plus aléatoire car sans savoir d’où l’on part ni le volume à chauffer il est impossible de prédire précisément à quoi l’on peut aboutir. Quant à préconiser les deux à la fois, temps et température de fin d’ébullition, c’est potentiellement contradictoire car ce sont deux grandeurs qui ne dépendent pas seulement l’une de l’autre, et c’est doublement aléatoire car c’est cumuler toutes les incertitudes !


Comment maîtriser la cuisson ?

La cuisson, on l'a dit, provoque l’évaporation progressive de l’eau et donc la concentration en sucres qui, rappelons-le, se composent du sucre ajouté et de sucre naturel de fruit. D’autres phénomènes que nous avons évoqués précédemment sont également à l’œuvre pendant la cuisson : dissociation des pectines, modification de la structure du sucre, etc. Mais il est impossible de les maîtriser car ils ne sont pas mesurables sans un équipement complexe de laboratoire scientifique.

Comment faire si la prise de température ou le chronométrage du temps sont des procédés trop empiriques ?

On pourrait esquiver le problème en s’aventurant à la suite de cette blogueuse tout-terrain qui propose ses secrets pour faire des confitures « sans sucre ni cuisson », mais on attendra toutefois qu’elle ajoute « et sans fruit » pour s’y intéresser !


Plus sérieusement, il va être en revanche relativement facile de contrôler la concentration du sucre en cours de cuisson pour stopper celle-ci au moment le plus favorable, sous réserve évidemment de connaître ce taux idéal pour une confiture réussie.

La mesure de la concentration en sucre des préparations liquides a fait l’objet de nombreuses recherches et inventions depuis plusieurs siècles, comme d’ailleurs celle de la concentration en alcool, car c’est une question qui préoccupe beaucoup de professions : vignerons, cidriers, confiseurs, pâtissiers, apiculteurs, etc.

On dispose donc désormais d’outils et de méthodes qui permettent cette mesure. Mais pour en parler il est pratiquement inévitable de rappeler auparavant quelques éléments de physique élémentaire concernant les notions de densité, de concentration et de taux.


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